Facebook et le spectre de la peur

Bon. Un petit préambule. On sait que un mec de 23 ans fait fortune au pays des miracles en bricolant un soft pour s’amuser avec ses potes, ça agace, voire ça rend acerbe, mesquin et même un peu jaloux. Or donc.
Le très respectable et très indispensable journal Le Monde adore Facebook. Plus exactement adore publier des articles et des dossiers sur Facebook. L’angle est toujours le même ; dénoncer ou, à tout le moins, mettre en garde contre les dérives de flicage de la vie privée dont Facebook serait l’instrument désigné. Titre de l’article dans le Monde Mag N° 56 du 9 octobre 2010 « Facebook tisse sa toile ». L’illustration est une araignée bleue qui entraine avec elle des milliers de silhouettes de têtes (vides?) accompagnée d’une ombre énorme et inquiétante. Sous son corps une tache noire et filandreuse.
On y lit les mêmes dénonciations élitistes que d’habitudes : l’inanité des statuts tels que, par ex : « Maxime  n’a pas encore commencé sa journée et va se recoucher »… Et surtout on y dénonce les dérives potentielles de ce que les spécialistes appellent le « social graph » c’est à dire les renseignements que chacun a bien voulu publier dans son profil ; âge, goûts, opinions, centres d’intérêts…etc. « Bien plus efficace qu’un passeport biométrique » (waouh !) selon Frédéric Filloux, l’auteur de l’article. Là, l’auteur passe quelque paragraphes à s’insurger contre le « verbiage global » qui consiste à débiter des niaiseries ou a commenter des photos ratées (« prise par un parkinsonien » dit-il).  Il nous donne une info incroyable, attention : « Une vingtaine d’adeptes (notez qu’il emploi la même terminologie que pour les sectes…) interrogés admettent avoir leur page FB ouverte sans discontinuer et vérifier plusieurs fois par heure leur fil d’actualités ». Vous vous rendez compte ? Quelle horreur ? Ils sont devenus fous ? C’est une drogue. Ils sont accros ?  Vient  ensuite le couplet sur l’addiction et l’insinuation du système dans ta vie privée, chez toi, dans ta piaule, dans ton sac, dans ta poche. La compulsion rend crétin et entraine un déficit chronique d’attention, de concentration. Il en déduit notamment que  « notre sens critique et notre capacité à embrasser des thèses iconoclastes  disparaissent». Quoi de plus iconoclaste et autodestructeur que FB au contraire dont la surabondance d’infos provoque leur disparition quasi immédiate dans le tréfonds des mémoires de stockage ? Et notre journaliste pose alors une question pertinente et contradictoire « Dans quelle mesure ce salmigondis numérique est il exploitable ? ». Il l’est pour la Pub ? Ah bon. Moi je ne regarde jamais les pubs publiées sur ma page FB . En revanche je regarde la petite designeuse de Niort qui fabrique des trucs pour les enfants ou les vidéos musicales que mon ami scénographe met en ligne ou le programme de voyages écolos de l’assoc de Marina…et je partage.
Mais le plus important et le plus crétin dans tout ce débat sur la peur c’est la chose suivante. Attention, ouvrez les guillemets : « On pourrait en déduire vos opinions politiques, vos positions sur la religion, voire votre orientation sexuelle ». Ce à quoi je réponds : Et alors ? Pourquoi devrais-je avoir peur d’exprimer mes opinions politiques, religieuses ou mes tendances sexuels ? Un peu de courage  Frédéric Fillioux voyons ! Pourquoi t’as peur ? Ils vont venir me chercher chez moi parce que je suis écolo-ubain tendance néorural à poil dur? Je ne suis pas encore fiché tu crois ? Et les dizaines de fichiers officieux de la police (dont le Monde faisait état dans son édition de Vendredi à la suite du scandale sur les Roms) ? Depuis quand devrais-je avoir peur de dire ce que je pense en France ou en Iran, aux USA ou en Russie dans la rue ou dans mon salon si je m’assume en tant qu’ individu luttant pour un monde meilleur ? Depuis quand ?
Je pense que ce débat sur la peur (que l’on retrouve d’ailleurs dans d’autres thématiques sociales actuelles) est en réalité un débat sur la lâcheté !
Par ailleurs ce que ne supportent pas les élites, dont fait partie supposément le journaliste, c’est que les gens (vous, toi, moi, les anonymes, les amateurs, les petits) se mettent à écrire, à faire des photos, des films, à parler de leur vie, d’eux-mêmes, sur ces dazibao (cf. chine populaire) virtuels et éphémères comme du papier qu’on déchire, à s’échanger leurs créations comme dans un marché noir. Ce qui est sûr c’est que les gens s’écrivent à nouveau depuis internet. Ce sont nos nouvelles cartes postales. Elles  (les élites) ne supportent pas que la multitude s’adresse à la multitude ! Ni que cette multitude crée en dehors des voies tracées et payantes !
La fin de l’article est pathétique. Il sous entend que l’objectif ultime de Zuckerberg (le créateur de FB) est  de « tisser une toile qui contrôlera toute la structure sociale et l’identité de ses membres ». Rien que ça. Tu vois le petit bonhomme quasi autiste, hyper timide en tout cas, et surdoué en informatique ? Eh bien il va envahir le monde et faire 9 milliards de prisonniers ! Ah bon, c’est pas déjà fait ? Bouhh ! j’ai peur. Ils (qui ?) savent que je fais du vélo, que j’aime Chopin, que je reçois la newsletter de Greenpeace, que je porte des chaussettes à rayures multicolores… !
Evidemment l’article auquel je fais référence, et dont d’ailleurs les interrogations sont légitimes, est ponctué de citations d’experts, un statisticien, un fondateur de radio (et quelle radio!!! Skyrock…bof), un essayiste. Ces types sont des spécialistes, des experts. Eux, ils savent. Cela me rappelle ironiquement la chanson de Laurie Anderson dans son album Homeland, (une artiste qui n’a pas eu peur des nouvelles technologies monsieur Filloux) « Only an expert » (http://laurieanderson.com/home.shtml).
Dernière chose, si tu ne veux pas qu’ils ( ?) sachent qui tu es, fais un faux. Moi j’ai mis une fausse date de naissance, un lycée qui n’existe pas, une religion bidon, des opinions politiques impossibles et des centres d’intérêts inintéressants et une de mes distractions préférées consiste à écrire des choses telles que « je suis entrain de faire mon repassage » ou bien « j’ai rangé mes outils » ou encore « je bois du thé vert». Si j’apprends qu’ils ( ?) créent des nouveaux fichiers avec ça, je m’achète un Gun pour les accueillir le jour J. Retour à la réalité.
Quelques semaines plus tard…
3/01/11 : je lis un papier et un chat sur Mediapart qui vient grossir le débat sur Facebook : http://www.mediapart.fr/club/blog/qdemouliere/030111/pourquoi-google-et-facebook-ne-sont-plus-mes-amis